La transition énergétique vers des sources renouvelables comme l'éolien et le solaire apporte de nouveaux défis pour la stabilité des réseaux électriques. Ces énergies intermittentes nécessitent des solutions innovantes pour équilibrer l'offre et la demande en temps réel. Le stockage d'énergie émerge comme une technologie clé pour relever ces défis et assurer la fiabilité de notre approvisionnement électrique. Des batteries géantes aux stations de pompage-turbinage, en passant par l'air comprimé ou l'hydrogène, une multitude de solutions se développent pour absorber les surplus de production et fournir de l'électricité en cas de besoin.
Technologies de stockage d'énergie pour la stabilisation du réseau
Plusieurs technologies de stockage d'énergie à grande échelle sont aujourd'hui utilisées ou en développement pour stabiliser les réseaux électriques. Chacune présente des caractéristiques techniques et économiques différentes, adaptées à des usages spécifiques. Examinons les principales solutions mises en œuvre.
Batteries lithium-ion à grande échelle : le projet hornsdale power reserve en australie
Les batteries lithium-ion constituent aujourd'hui la technologie de stockage la plus répandue pour les applications réseau. Leur capacité à réagir très rapidement (en quelques millisecondes) en fait un outil précieux pour réguler la fréquence du réseau. Le projet Hornsdale Power Reserve en Australie-Méridionale en est l'exemple le plus emblématique. Mis en service fin 2017, ce système de stockage de 100 MW / 129 MWh développé par Tesla permet de stabiliser le réseau local en absorbant les excédents de production éolienne et en fournissant de l'électricité en cas de besoin.
Les performances de ce système sont impressionnantes : il peut injecter jusqu'à 100 MW en moins de 150 millisecondes. Cette réactivité lui permet de contribuer efficacement à la régulation de fréquence du réseau sud-australien. Le succès de ce projet a conduit à son extension à 150 MW / 194 MWh en 2020.
Stockage par air comprimé : l'installation huntorf en allemagne
Le stockage d'énergie par air comprimé (CAES
) est une technologie mature utilisée depuis plusieurs décennies. Son principe consiste à comprimer de l'air dans des cavités souterraines en utilisant l'électricité excédentaire, puis à le détendre pour produire de l'électricité en cas de besoin. La centrale de Huntorf en Allemagne, mise en service en 1978, en est le premier exemple commercial au monde.
D'une puissance de 290 MW, elle peut fournir de l'électricité pendant 2 heures. Son rendement global est d'environ 42%, ce qui reste modeste comparé aux batteries lithium-ion. Cependant, sa grande capacité de stockage et sa durée de vie élevée (plus de 40 ans pour Huntorf) en font une solution intéressante pour le stockage de longue durée.
Stockage par pompage-turbinage : la centrale de grand'maison en france
Le pompage-turbinage hydraulique reste à ce jour la technologie de stockage d'énergie la plus répandue dans le monde, représentant plus de 95% des capacités installées. Son principe est simple : pomper l'eau d'un bassin inférieur vers un bassin supérieur en période de surplus électrique, puis la turbiner en sens inverse pour produire de l'électricité en cas de besoin.
En France, la centrale de Grand'Maison dans les Alpes en est un exemple remarquable. Avec une puissance de 1800 MW, c'est la plus puissante centrale hydroélectrique du pays. Elle peut stocker jusqu'à 35 GWh d'énergie, soit l'équivalent de plusieurs heures de consommation électrique d'une grande ville comme Lyon. Son rendement global atteint 80%, ce qui en fait une solution très efficace pour le stockage à grande échelle.
Volants d'inertie : application dans le réseau électrique des îles canaries
Les volants d'inertie constituent une solution de stockage d'énergie à court terme, capable de réagir très rapidement aux fluctuations du réseau. Leur principe repose sur le stockage d'énergie cinétique dans une masse tournante à grande vitesse. En cas de besoin, cette énergie est restituée en quelques millisecondes.
Sur l'île de La Gomera dans les Canaries, un système de volants d'inertie de 0,5 MW a été installé en 2014 pour stabiliser le réseau électrique local, fortement alimenté par des énergies renouvelables intermittentes. Ce système permet de réguler la fréquence du réseau et d'éviter les coupures de courant, améliorant ainsi la qualité de l'approvisionnement électrique de l'île.
Intégration du stockage dans la gestion des énergies renouvelables
Le développement massif des énergies renouvelables intermittentes comme le solaire et l'éolien pose de nouveaux défis pour la gestion des réseaux électriques. Le stockage d'énergie joue un rôle important pour intégrer ces sources variables et maintenir l'équilibre du réseau. Examinons quelques exemples concrets d'intégration du stockage avec les énergies renouvelables.
Lissage de la production solaire : le parc solaire + stockage de kiamal en australie
La production solaire photovoltaïque est par nature variable, avec des pics de production en milieu de journée et une production nulle la nuit. Le stockage permet de lisser cette production et de la rendre plus prévisible.
D'une puissance de 200 MW, ce parc solaire est couplé à un système de stockage par batteries lithium-ion de 20 MW / 34 MWh. Ce stockage permet de lisser la production solaire et de fournir des services réseau comme la régulation de fréquence. Il améliore ainsi l'intégration de l'énergie solaire dans le réseau électrique australien.
Régulation de la production éolienne : le projet windnet au danemark
La production éolienne est également variable et parfois difficile à prévoir. Le stockage d'énergie peut aider à réguler cette production et à l'adapter aux besoins du réseau. Le projet Windnet au Danemark illustre bien cette approche.
Lancé en 2018, ce projet associe un parc éolien de 18 MW à un système de stockage par batteries de 2 MW / 1,3 MWh. L'objectif est d'utiliser le stockage pour lisser la production éolienne et fournir des services réseau comme la régulation de fréquence. Ce système permet d'améliorer l'intégration de l'éolien dans le réseau danois, qui vise 100% d'énergies renouvelables d'ici 2050.
Micro-réseaux intelligents : l'exemple de l'île de tilos en grèce
Les micro-réseaux intelligents combinant énergies renouvelables et stockage offrent des solutions intéressantes pour l'approvisionnement électrique des zones isolées. L'île de Tilos en Grèce en est un exemple remarquable.
Depuis 2019, cette petite île de la mer Égée est alimentée à 100% par les énergies renouvelables grâce à un système hybride associant éolien (800 kW), solaire (160 kW) et stockage par batteries (2,4 MWh). Ce micro-réseau intelligent permet à l'île d'être autonome en électricité la majeure partie de l'année, tout en assurant la stabilité de l'approvisionnement.
Régulation de fréquence et services systèmes
Au-delà du simple stockage d'énergie, les systèmes de stockage peuvent fournir des services essentiels pour la stabilité et la qualité de l'approvisionnement électrique. Ces services systèmes comprennent notamment la régulation de fréquence, la réserve tournante et le black start. Examinons le rôle du stockage dans ces différents services.
Réponse primaire en fréquence : le rôle des batteries dans le réseau britannique
La régulation primaire de fréquence est importante pour maintenir l'équilibre du réseau à très court terme (quelques secondes). Les batteries lithium-ion, grâce à leur réactivité quasi-instantanée, sont particulièrement adaptées à ce service. Au Royaume-Uni, le gestionnaire de réseau National Grid a mis en place depuis 2016 un marché spécifique pour ce service, appelé Enhanced Frequency Response (EFR).
Les systèmes de stockage par batteries participent activement à ce marché. Par exemple, le projet de stockage de 49 MW développé par RES à Glassenbury fournit des services de régulation de fréquence au réseau britannique. Sa capacité à réagir en moins d'une seconde permet de stabiliser efficacement la fréquence du réseau.
Réserve tournante synthétique : l'expérience du gestionnaire de réseau PJM aux états-unis
La réserve tournante, traditionnellement assurée par des centrales thermiques, peut également être fournie par des systèmes de stockage. On parle alors de réserve tournante synthétique. Le gestionnaire de réseau PJM aux États-Unis a été pionnier dans l'utilisation du stockage pour ce service.
Depuis 2011, PJM a intégré les systèmes de stockage dans son marché de régulation. En 2020, plus de 300 MW de capacités de stockage participaient à ce marché, fournissant une réserve tournante synthétique et contribuant à la stabilité du réseau. Cette approche a permis de réduire les coûts de régulation tout en améliorant la qualité du service.
Black start : capacités de redémarrage avec le stockage d'énergie
Le black start désigne la capacité à redémarrer le réseau électrique après un effondrement généralisé. Traditionnellement assuré par des groupes diesel, ce service peut également être fourni par des systèmes de stockage d'énergie. En Australie, le projet Hornsdale Power Reserve a démontré cette capacité lors d'un test réussi en 2019.
La batterie de 100 MW a pu redémarrer une partie du réseau sud-australien après une coupure simulée. Cette expérience démontre le potentiel des systèmes de stockage pour améliorer la résilience des réseaux électriques face aux incidents majeurs.
Aspects économiques et réglementaires du stockage d'énergie
Le développement du stockage d'énergie ne dépend pas uniquement des aspects techniques. Les aspects économiques et réglementaires jouent un rôle important dans son déploiement à grande échelle.
Mécanismes de rémunération : le modèle de marché de capacité en france
La rentabilité économique des systèmes de stockage dépend en grande partie des mécanismes de rémunération mis en place. En France, le mécanisme de capacité introduit en 2017 offre de nouvelles opportunités pour le stockage d'énergie.
Ce mécanisme rémunère la disponibilité des capacités de production ou d'effacement lors des périodes de pointe. Les systèmes de stockage peuvent y participer, recevant une rémunération pour leur capacité à injecter de l'électricité dans le réseau en cas de besoin. Ce modèle contribue à améliorer la rentabilité des projets de stockage.
Coûts actualisés du stockage (LCOS) : comparaison des technologies
Le coût actualisé du stockage (LCOS
) est un indicateur clé pour comparer la compétitivité économique des différentes technologies. Il prend en compte l'ensemble des coûts sur la durée de vie du système, rapportés à l'énergie stockée. Le pompage-turbinage reste compétitif pour les applications de longue durée, tandis que les batteries lithium-ion sont plus adaptées aux services de courte durée à forte valeur ajoutée comme l'indique le tableau suivant :
Technologie | LCOS ($/MWh) |
---|---|
Batteries lithium-ion | 165 - 325 |
Pompage-turbinage | 152 - 198 |
Air comprimé | 116 - 140 |
Cadre réglementaire européen : le clean energy package et le stockage
Le cadre réglementaire joue un rôle important dans le développement du stockage d'énergie. En Europe, le Clean Energy Package adopté en 2019 apporte des avancées significatives. Il reconnaît le stockage comme une activité à part entière du système électrique et interdit aux gestionnaires de réseau de posséder ou d'exploiter des installations de stockage (sauf exceptions).
Ces nouvelles règles visent à créer un cadre favorable au développement du stockage par des acteurs de marché, tout en garantissant des conditions de concurrence équitables. Leur mise en œuvre dans les différents pays européens devrait stimuler les investissements dans le stockage d'énergie.
Défis techniques et innovations pour le stockage à grande échelle
Malgré les progrès réalisés, le stockage d'énergie à grande échelle fait encore face à de nombreux défis techniques. Des innovations sont nécessaires pour améliorer les performances et réduire les coûts.
Vieillissement des batteries : stratégies de gestion pour prolonger la durée de vie
Le vieillissement des batteries est un enjeu majeur pour les systèmes de stockage à grande échelle. Les cycles de charge/décharge répétés et les conditions d'utilisation affectent leurs performances dans le temps. Des stratégies innovantes de gestion sont développées pour prolonger leur durée de vie.
Par exemple, le projet Grid-Booster en Allemagne utilise des algorithmes d'intelligence artificielle pour optimiser les cycles de charge/décharge des batteries en fonction des conditions du réseau. Cette approche permettrait d'augmenter de 20% la durée de vie des batteries lithium-ion utilisées pour la régulation de fréquence.
Stockage thermique : le projet ETES de siemens gamesa
Le stockage thermique offre des perspectives intéressantes pour le stockage de longue durée. Le projet ETES (Electric Thermal Energy Storage) développé par Siemens Gamesa en est un exemple prometteur. Ce système utilise de l'électricité excédentaire pour chauffer des roches volcaniques à plus de 600°C, stockant ainsi l'énergie sous forme de chaleur.
Un démonstrateur de 130 MWh a été mis en service à Hambourg en 2019. Il peut stocker l'équivalent de l'énergie produite par 1,5 éolienne pendant une semaine. Avec un rendement de 45%, cette technologie pourrait offrir une solution compétitive pour le stockage saisonnier.
Stockage d'hydrogène : le projet hybalance au danemark
L'hydrogène est considéré comme un vecteur prometteur pour le stockage de longue durée. Le projet HyBalance au Danemark explore cette voie. Mis en service en 2018, il utilise l'électricité éolienne excédentaire pour produire de l'hydrogène par électrolyse.
D'une capacité de 1,2 MW, l'électrolyseur peut produire 500 kg d'hydrogène par jour. Cet hydrogène est ensuite utilisé pour des applications industrielles et la mobilité. Ce projet démontre le potentiel du power-to-gas pour coupler les secteurs de l'électricité, de l'industrie et des transports.
Comment ces innovations vont-elles transformer le paysage du stockage d'énergie dans les années à venir ? Leur déploiement à grande échelle pourrait révolutionner la gestion des réseaux électriques et accélérer la transition vers un système énergétique 100% renouvelable.